Si vous entrez à la CinéFabrique un vendredi à 14h, vous y verrez plus de balais que de caméras ; à ce créneau, nous faisons tous le ménage. Et si vous passez par derrière le bâtiment à 8h, vous aurez la chance de voir des techniciens en charlotte munis d’épluches légumes ; c’est la pluche des légumes bio qu’on mangera à midi.
Les locaux de la CinéFabrique sont ceux d’un ancien lycée professionnel, réaménagé pour y faciliter un peu la pratique du cinéma. À l’instar de la formation qu’elle propose, la CinéFabrique encore en travaux s’adapte jour après jour à ses nouveaux occupants ; car c’est eux qui la façonnent. Nul doute que l’argent injecté a servi aux décors en studio ou aux boxs de montage plutôt qu’à un ravalement de façade. Cependant, les parquets usés ne craignent pas les tests de Dolly, les fenêtres éprouvées supportent les assauts de gaffeur et les faux-plafonds résistent sans trembler aux coups de perche. C’est parfois branlant, abîmé, usé, mais c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes.
La CinéFabrique est un lieu qui se veut sans barrière entre étudiants, entre intervenants, entre désirs de cinéma. C’est étourdissant, désagréable, laborieux et jubilatoire. Car si la CinéFabrique appartient à ses élèves (nous en avons concrètement les clés), c’est d’une façon parfois un peu anarchique et bruyante ; on s’y côtoie avec joie et turbulence, souvent dans une agitation due au déferlement quasi-incessant de projets. Je me suis très vite rendue compte qu’il était vain d’y chercher un équilibre ; mieux vaut se laisser emporter par le désordre de la frénésie ! Et comme on ne peut pas y couper, on finit par se rendre compte que le bordel a du bon.
Une autre des forces de l’école, c’est l’oreille qu’elle tend à ses élèves. La réunion des cent, par exemple, rassemble tous les cinéfabriquants pour un partage trimestriel d’idées neuves et de ressentis. La volonté étant d’approcher une adéquation entre le fonctionnement de l’école et l’épanouissement des élèves, tout en gardant en perspective les réalités de nos futures professions. Pour les plus volontaires, la porte de l’administration et celle du directeur Claude Mouriéras, au deuxième étage, sont toujours grandes ouvertes. L’école donne donc des opportunités fabuleuses, mais plus important encore, elle incite les élèves à construire les leurs.
Sans prétention, une phrase de Jean Paulhan évoque bien ce que les élèves ont à l’esprit en sortant de l’école : « Nous avions posé une question et nous avons été nous-mêmes la réponse ; un problème, nous avons été la solution ».
Sans parler d’une révolution systémique, cette phrase est une façon de dire qu’au-delà de son fonctionnement global, nous devons aussi affronter les difficultés concrètes de la pratique cinématographique. Les nombreux tournages du cursus, encadrés ou collectifs, sont là pour que cette confrontation ait lieu, et pour que les élèves construisent année après année une façon de faire qui leur est propre.
De fait, la formation est un écrin pour l’expérimentation, tout en maintenant les contraintes financières, humaines et matérielles de l’industrie : les budgets restreints, les sensibilités inhomogènes, les imprévus. En sortant de l’école, nous avons dans la poche un Leatherman avec en guise de lames : la débrouillardise, la recherche, la témérité, l’acceptation de l’échec et l’entraide.
En témoignent les plaquettes des différentes écoles de cinéma en France, on se focalise surtout sur ce qu’une école apporte à ses élèves : un diplôme, des intervenants de renoms, des stages, du matériel ; une technique et des contacts, en somme.
La CinéFabrique n’y coupe pas, mais tente avant tout de nous insuffler un esprit d’équipe en aucun cas quantifiable. De toute façon, comment quantifier la magie bien reconnaissable d’une équipe qui a su travailler à l’unisson ? Comment estimer un module d’Ivan Dumas sur l’équilibre vertigineux de la perche en connivence avec le cadre ? Comment mesurer la différence que fait un simple point de lumière dans le regard d’un acteur ? Comment rendre par écrit une confiance placée dans le faire ensemble ?
D’autre part, j’attire votre attention sur ce que la CinéFabrique n’enseigne pas à ses élèves, ce qui est probablement tout autant que le contenu véritable des modules. Depuis mon entrée à la cinéfab, je n’ai pas appris à désirer ma réussite avant celle des autres ; l’existence du film est la seule réussite qui vaille.
Je n’ai pas appris à considérer la gestion d’équipe comme un cahier de charges à remplir.
Je n’ai pas appris à discriminer un technicien pour sa couleur de peau, son âge, sexe ou religion.
Je n’ai pas appris à ne juger les films qu’à partir de ma propre cinéphilie.
Je n’ai pas appris à craindre l’échec, ni à être prudente dans mes choix esthétiques.
Et je ne veux pas apprendre à convoiter la reconnaissance exclusive d’une oeuvre alors même que l’art donne généreusement une place à chacun, quel qu’il soit.
Agathe et Louis pour le guide VIDEADOC des formations 2020